Par Carole Heintz (membre fondatrice de l’association RER D Val de Seine, élue adjointe au maire de Soisy sur Seine.)
« Nous allons investir 6 Mds, c’est un grand plan de sauvetage pour le RER D. » Ainsi communique IDFM et la région. Mais en réalité, quelles perspectives pour cette révision du Schéma Directeur du RER D, et que prévoient IDFM et SNCF pour régler les problèmes dont souffrent les usagers ?
Aujourd’hui, c’est à la définition d’un programme complémentaire à ce SD, qui date de 2006, que nos associations sont invitées. A la bonne heure ! pouvons-nous dire.
Pourtant, la tournure que prennent les échanges est très inquiétante. Pourquoi ?
Nous ne faisons pas de procès d’intention malgré notre malheureuse expérience du SA 2019 quand concertation a rimé avec communication.
Nous apprécions l’écoute par IDFM et SNCF des attentes des usagers, mais nous percevons déjà les signaux « pédagogiques » pour nous faire comprendre que nos demandes ne seront pas envisageables avant dans 15 ans.
Car en réalité, en dehors de Nextéo, la révision de ce schéma directeur s’annonce très pauvre et ne prend pas à bras le corps les 4 grands maux qui accablent réellement les usagers.
- L’interconnexion Nord / Sud
- La concurrence des branches du RER entre elles (contrainte par la saturation du réseau)
- Les temps de trajet
- Les suppressions de trains
Rappelons d’abord, alors que nous arrivons dans les chapitres à long terme de ce schéma directeur, que de nombreuses libertés ont été prises avec ses orientations initiales.
Si un diagnostic des problèmes du RER D fait l’unanimité, c’est bien le tunnel Chatelet / Gare du Nord partagé avec la ligne B. Certes il fallait renoncer à doubler ce tunnel (impact travaux inacceptable et coût prohibitif : 4Mds), mais en s’arcboutant sur un RER 100% interconnecté, IDFM et SNCF ont entretenu la fragilité de la ligne. Le Schéma directeur 2006/09 prévoyait de couper la ligne en 2 en créant un retournement à Châtelet. Le scénario de quelques RER D terminus Châtelet, dont l’expérimentation en 2006 avait échoué faute de coordination SNCF / RATP était particulièrement intéressant pour les usagers du Sud Est parisien. Il mériterait d’être réétudié, d’autant plus si l’on y ajoute la création d’une 3e voie, dans le tunnel, dont l’étude a déjà été faite en 2016 par le cabinet Rail Concept sur commande de l’AUT FNAUT. Viable et d’un coût raisonnable, la 3e voie apporterait une solution définitive au passage dans Paris des trains dans un sens et une très nette amélioration pour ceux de l’autre sens.
Hélas, le projet a été enterré en mai 2017 par IDFM et la concertation publique n’a jamais été lancée.
Aujourd’hui « circulez, y a rien à voir »: trop frugal, pas assez glamour, IDFM et SNCF ont déjà qualifié de « faisabilité faible » cette étude pourtant frugale et prometteuse.
IDFM et SNCF ne prévoient pas d’alléger le tunnel et font au contraire le choix périlleux de s’engager dans un projet pharaonique d’automatisation Nexteo (4 Milliards avec ses coûts induits, dont le remplacement des rames par des trains adaptés au mass transit : les RER NG). Nexteo fluidifiera peut-être le débit de toujours plus de trains interconnectés, mais n’atténuera pas l’impact des situations perturbée comme le train en panne à Goussainville qui n’arrivera jamais à Juvisy, le bagage abandonné à Gare du Nord, ou les usagers d’un RER en panne dans le tunnel qui descendent sur le voies.
Qu’est-ce qui gêne tant l’idée d’arrêter des missions à Châtelet ou à Gare de Lyon ?
Pourtant, excédés par l’effet papillon, sensibles aux arguments rationnels, beaucoup d’usagers du RER D seraient sans doute en faveur d’une déconnexion partielle. Solidaires des usagers du RER B, ils seraient prêts à leur rendre quelques sillons dans le tunnel.
Alors que cache cette réticence pour limiter le nombre de missions RER D interconnectées ?
Ne dédier que 2 voies en surface à Gare de Lyon pourrait répondre à la fois aux besoins de création de lignes semi-directes, et de réduire l’interconnexion, et ainsi fiabiliser à la fois les RER D et B. IDFM et SNCF jugent peu réaliste cette hypothèse. Etrange !
Faut-il comprendre que les trains du quotidien doivent sagement rester cantonnés et que leurs usagers ont déjà perdu d’avance les arbitrages dans l’affectation des infrastructures et des sillons d’approche au sud de Gare de Lyon au profit des futures lignes commerciales bien plus rentables avec l’ouverture à la concurrence ?
A ce propos aussi, les franciliens ont droit à la transparence. Nous pensons qu’avec ou sans avis de saturation, la région IDF doit cesser le double langage, inscrire ces projets dans les Schémas Directeurs et exiger de l’état des outils concrets pour traduire clairement la priorité donnée aux transports du quotidien dans les arbitrages de SNCF Réseaux pour le partage des usages des infrastructures. Ce sont des choix politiques !
Le SD de 2006/2009 prévoyait … pour… 2013 ! le remaniement de l’avant – gare à Bercy, qu’on résume sous le nom de « terrier de Bercy », et qui libérerait des possibilités de croisements entre les voies desservant les gares de Lyon et de Bercy. Aujourd’hui tous admettent que cet ouvrage très complexe, ne verra pas le jour avant 2035, sans compter que les sillons ainsi libérés iraient de préférence aux grandes lignes commerciales TGV et autres Ouigo classiques.
Pourtant c’est sur cet improbable terrier qu’IDFM, SNCF et bien des politiques, conditionnent toute possibilité de nouvelle liaison du sud vers Paris.
Faute d’engagement de l’état, nous pensons que la région pourrait demander un moratoire sur la densification au sud de l’IDF et plus particulièrement sur Sénart si les transports se développent au détriment de territoires déjà peuplés en Essonne. Les scénarios d’aménagement du territoire et les politiques de construction de logements en grande couronne doivent être conditionnées aux capacités de transport régionaux.
Mais le plus injuste des écarts au SD a été la spectaculaire coupure de branches au sud d’étoile de Corbeil. Cette coupure constitue une régression historique dont on peut encore craindre aujourd’hui que certains décideurs peu soucieux de l’usager ne s’inspirent pour d’autres lignes de RER.
Il est utile de savoir que le SD de 2006/2009 prévoyait déjà des navettes reliant le sud de Corbeil à Paris/Bercy, directes à partir de Juvisy : le gain en temps de trajet, aurait pu légitimer la sortie du RER pour certains usagers. Mais le SA 2019 – au motif d’une soudaine urgente régularité – a éjecté l’étoile de Corbeil hors du RER D sans attendre qu’une ligne semi-directe prenne le relai pour en amener les usagers à Paris. Est-il nécessaire d’inscrire dans le SD le principe que le RER est d’amener les voyageurs à Paris ? Ne serait-ce que pour recadrer ces politiques qui ont osé dire : « vous nous remercierez » (V. Pécresse), « le pire aurait été de ne rien faire » (F. Durovray) ou « si c’était à refaire je le referai » (S. Beaudet).
Le Schéma Directeur a une dette envers les usagers de l’étoile de Corbeil, qui doit être clairement contractualisée dans sa révision. Il est inadmissible que les usagers sacrifiés n’aient d’autre perspective de retour à Paris que celle de 2035 conditionnée au terrier de Bercy. Pourtant cette idée de navette risque de tomber du camion si nous n’y prenons pas garde.
Une liaison directe à Paris plébiscitée par les usagers !
Ce qui compte pour ces voyageurs du quotidien, c’est le temps de trajet. Pourtant les temps de trajet ne sont toujours pas une exigence prioritaire pour IDFM. Et la révision du SD ne prévoit rien dans ce sens, au contraire les futurs trains RER NG (dont la livraison a déjà 2,5 ans de retard), adaptés à Nexteo et au mass transit offriront 25% moins de places assises que les rames actuelles (Z2N) du RER D. Les usagers apprécieront d’être debout sur des trajets entre 40 et 50 minutes…sans toilettes! Ce sont des choix politiques.
Exemple emblématique : sur le RER C, les SLOM qui relient Juvisy à Bibliothèque François Mitterand en 11 minutes dans lesquels les voyageurs s’entassent bien souvent debout (mais pour 11 minutes ça va).
Autre succès : les 3 trains PICA (RER D branche Comb-la-ville), seul apport indiscutable du SA 2019, qui emmène sans arrêt les voyageurs de Lieusaint à Gare de Lyon surface prouve que ce type d’offre répond aux attentes des voyageurs de grande couronne en leur faisant gagner jusqu’à 40 minutes de temps de transport chaque jour. Il est indispensable de les sécuriser et de les généraliser au maximum y compris dans le sens nord sud.
Parions qu’une offre de ce type sur la branche Corbeil aurait un succès équivalent auprès des usagers, dont les temps de trajet ont pris 10 minutes (donc 20 minutes de + par jour) avec le SA 2019 !
La ligne S que proposent les associations prolongerait jusqu’à Paris Gare de Lyon surface la branche coupée sud, sans arrêt à partir de Juvisy, et mettrait Corbeil à moins de 30 minutes de Paris. Alors pourquoi si peu d’enthousiasme côté IDFM et SNCF ?
En conclusion
Nous voulons que le SD évolue vers plus d’ambitions en matière d’équité dans l’aménagement du territoire, et se recentre vers les vraies attentes des usagers.
Nous sommes convaincus que ces objectifs riment avec réalisme et frugalité mais elles supposent une volonté politique et qu’IDFM joue son rôle en résistant à SNCF et en portant en direction de l’Etat une vision pour les oubliés de la grande couronne.
Après nous avoir poliment écouté exposer les propositions de notre « Livre Blanc », IDFM et SNCF nous laisseront, à l’issue du comité de ligne de mardi 30 novembre, jouer dans un périmètre rendu tout petit parce que certains postulats nous sont opposés et par le biais du filtrage des propositions. C’est pourquoi nous ne pouvons pas dire que nous participons à l’élaboration du SD, ni même à sa révision.
Le plus triste est qu’il faut se dire que c’est déjà une immense conquête.
Il y a encore du chemin pour une démocratie participative des transports du quotidien.
Mais notre détermination est totale, et les usagers du RER D vont comprendre tout l’intérêt de notre ligne S. Nous défendrons bec et ongle l’inscription de la ligne S dans le schéma directeur et la mise en œuvre dès le SA 2023 de ses prémices. Nous défendrons également le renforcement des PICA.
Accélérer les liaisons entre Paris et la grande couronne, sécuriser l’offre en heures creuses : il est temps d’inscrire ces ambitions dans le SD.
Parce que le RER est un bien commun, son offre doit être attractive pour les territoires qui en dépendent et méritent mieux que les miettes du gâteau, qu’être servis après le privé et jetés en pâture à la concurrence.